Le petit lexique du rap français | FLE

Le petit lexique du rap français | FLE

Anglicismes, abréviations, nouvelles formes d’argot et détournements en tout genre : retour sur les récentes expressions popularisées par le rap français.

Mamène

Parce qu’il n’y aura jamais assez de synonymes dans la langue française pour dire « mon gars » ou « mon pote », « mamène » s’est taillé une place de choix dans la bouche des MC’s. Au sein de la scène française, l’expression est surtout utilisée par le rappeur Lorenzo, qui l’a grandement popularisée auprès de son public en l’utilisant à toutes les sauces, quand elle ne ponctue pas chacune de ses phrases. L’élite de nos linguistes s’est déchirée sur la véritable origine de ce mot. Pour certains, c’est simplement une contraction franchouillarde de « my man » ou « my men », dont l’usage est le même outre-atlantique. Puis il s’est avéré qu’il s’agissait en fait d’une expression tout ce qu’il y a de plus bretonne, Lorenzo étant originaire de Rennes. Une branche dissidente de spécialistes a finalement estimé que cela pouvait très bien être les deux, dans la mesure où la Bretagne c’est au final un peu un bout d’Angleterre greffé à la France.

Être à propos de

C’est la traduction littérale et américanisée du « I’m about » très présent dans les lyrics du rap américain. À peu près comme chez eux, cela veut dire être à fond dans tel ou tel domaine, être concentré sur quelque chose, être d’accord avec ça, etc. Mais contrairement à là-bas, il est assez rare de trouver des gens qui utilisent cette tournure de phrase dans la vraie vie, c’est avant tout un truc de rappeur ; évitez donc de la placer dans une conversation avec vos petits neveux, au risque d’être gênant

Dead (verbe transitif)

Depuis de nombreuses années, le département de l’Essonne, et plus particulièrement la ville de Grigny, a cette particularité de fournir au rap français, et par extension à tout le reste de la France, de nouveaux termes d’argot tous plus inventifs les uns que les autres, sans jamais pourtant être remerciée pour ça, ni même créditée. Rendons ici à Grigny ce qui appartient à Grigny : placer un « zer » en fin de mot comme l’a fait Booba dans ses morceaux au point d’en faire sa marque de fabrique n’est en rien une invention du Duc de Boulogne mais bel et bien une création des Grignois. Idem pour « dead » que l’on entend un peu partout ces temps-ci et qui nous vient tout droit du 91. Employée sous la forme de « il m’a dead » ou « il a dead ça », l’expression, qui signifie « il m’a tué » ou « il a tué ça », est à prendre au sens figuré, et souligne la plupart du temps une réussite ou un exploit. Utilisée à la première personne (« je suis dead/je peux dead »), elle sous-entend que la personne est comblée.

Iencli (nom masculin)

Pour être tout à fait exact le mot « iencli » n’est pas du tout récent puisque c’est juste du verlan pur et simple : les syllabes de « client » inversées, tout ce qu’il y a de plus classique. L’usage du terme a cependant pas mal évolué : de l’acheteur de choses en tout genre, le sens du mot s’est progressivement concentré sur les acheteurs de drogues, avant de devenir, plus récemment, une insulte. Si bien qu’aujourd’hui, « iencli » désigne essentiellement des personnes considérées comme des cibles faciles, des victimes. À ce titre, l’expression « rap de iencli » est particulièrement méprisante pour l’artiste et le public visé.

Jdid (adjectif, féminin : jdida)

Directement importé de l’arabe pour enrichir la panoplie complète de l’argot hexagonal, « Jdid » signifie flambant neuf, et par extension, classe.

R (pronom indéfini, nom et adverbe)

« R » est tout bonnement l’abréviation de « rien », utilisée à de multiples reprises dans des tournures de phrases qui expriment l’absence de problème ( « y’a R ») ou l’impuissance des ennemis (« ils vont faire R », « tu vas dire R »). On pourrait objecter que le principe d’une abréviation est de raccourcir l’écriture mais surtout la prononciation, or ce n’est nullement le cas ici puisqu’on passe d’une syllabe à… une syllabe. Mais techniquement, ne garder que la première lettre de « rien », ça signifie que R, c’est encore moins que rien. Et ça c’est fortiche.

Faire du sale

Faire quelque chose à fond, que ce soit positif ou négatif. Les applications possibles sont donc multiples mais principalement : faire beaucoup d’argent, être cru dans ses actes et paroles ou enfin, faire du mal à une tierce personne. On ne compte plus les morceaux de rap s’intitulant « du sale » ou « que du sale » en France, que ce soit chez RohffDamsoNiskaSadekMacTyer et bien d’autres. À leur façon, Booba, Damso et Niska ont pas mal contribué à rendre l’expression populaire, le premier en l’utilisant comme un gimmick (« welcome to the sal », « salside », etc), le second en l’employant le plus souvent possible dans ses morceaux pour définir sa musique (« je fais que du sale ») et le troisième en affublant une série de titres inédits du hashtag #KeDuSal. Ils ont de la suite dans les idées les zozos.

S/O

Prononcées à la française (« esso »), S/O est simplement l’abréviation de « shout out » dont il reprend les initiales, façon de dire « dédicace à ». Il ne s’agit rien de moins qu’une traduction littérale de son usage anglophone. Et comme vous pouvez vous en douter, ce sont avant tout les plus américanisés des rappeurs français qui l’utilisent, option Anglais LV1.

Gala (nom masculin)

Une arme de poing, pistolet ou revolver. Même si comme pas mal d’autres expressions elle puise son origine au fin fond du 91, « gala » ne s’est pas encore véritablement propagé dans le langage courant, malgré l’insistance du groupe PNL qui l’utilise très souvent. Notons que phonétiquement le mot semble imiter le bruit d’une arme à feu en pleine action (« clic-clic, gala gala »), un peu comme quand un enfant dirait « la vroum vroum » parce qu’il n’a pas encore retenu qu’on appelait ça une voiture, ce qui n’est pas sans donner aux menaces proférées un caractère incroyablement mignon, ne nous le cachons pas.

Faire (verbe transitif)

Utilisé d’une façon très précise dans le sens d’attaquer d’une façon ou d’une autre, souvent lié au milieu des voyous et du grand banditisme : « ils veulent me faire » veut dire « ils veulent m’avoir/me soulever/m’arrêter/me dépouiller/me tuer ». Il est très probable qu’un jour, quelqu’un d’à la fois très pressé et de très agressif a entendu un autre lui dire « je vais me le faire » et a tabassé la personne en question en hurlant « non c’est moi qui vais te faire », et depuis c’est resté. Comme disait Marcel Prévost « la langue française est une noble gueuse, et elle ne souffre pas qu’on l’enrichisse malgré elle ».

Moula

Encore une importation d’argot anglais puisque là-bas « mula » désigne une somme en cash, souvent associée à l’argent sale. Cas particulier ici puisque ce mot a au moins trois sens. Le premier est un synonyme de l’argent, le second du cannabis et le troisième, utilisé dans des tournures comme « mettre la moula à quelqu’un » signifie vaincre quelqu’un de manière humiliante. C’est globalement la définition première qui est utilisée le plus souvent, car nous vivons dans un monde capitaliste où l’argent est roi, que voulez-vous.

Mala (nom féminin)

À ne pas confondre avec la « moula », la « mala » c’est un mélange assez flou de fiesta, d’amusement et surtout de fortes sommes d’argent dilapidées en un temps record. Ce qui est sûr c’est que « faire la mala », c’est vivre dans l’excès, ne serait-ce que le temps d’une soirée. Même si la plupart du temps cela se résume à monter sur les banquettes d’un bar à chicha, comme d’autres feraient tourner les serviettes dans les banquets du troisième âge. Autres temps, autres mœurs

Wewer

La wewer c’est la bulle, la matrice, l’usage le plus simple étant « je suis dans ma wewer » pour indiquer un comportement fermé, centré sur une seule chose, comme « être dans son délire ». Certains pensent que le mot a la même racine que « werss », qui avait sensiblement la même utilisation dans la bouche de Rohff, avec son refrain enchanteur « où que je sois, je suis dans ma Werss, laissez-moi rêver dans ma Werss, que des cassos dans ma Werss, on lâche tout dans ma Werss », bref vous avez compris le principe. On notera cependant qu’à l’époque de la sortie du morceau, Rohff avait dû fournir une notice explicative sous forme d’interviews, parce qu’absolument personne ne voyait de quoi il voulait parler. Autres temps, autres mœurs, le brave Niska ne s’est pas embarrassé d’autant de précautions. Quant à l’origine du terme, mystère, l’hypothèse la plus répandue serait un dérivé (très) libre du mot « version », prononcé par un enfant avec des problèmes d’articulation.